Des citoyens de seconde zone

De Politis 62
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Un article paru dans Politis, le jeudi 28 juillet 2011, par Ingrid Merckx


Le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy a fait des Roms et des délinquants la cible de sa politique sécuritaire. Aujourd’hui, les Roms représentent une proportion importante des reconduites à la frontière. En France, ils sont lésés de nombreux droits, particulièrement celui de travailler.

Un an après le discours de Grenoble, où Nicolas Sarkozy promettait de démanteler les « campements illicites », la précarité des Roms a empiré. Les mesures transitoires qui leur interdisent de travailler doivent être prolongées jusque fin 2013. Analyse de Damien Nantes, directeur de Hors la rue, association de soutien aux mineurs étrangers en danger, et membre du réseau Romeurope.

Politis : Où en sont les Roms ?

Damien Nantes : La politique d’expulsion est en place depuis 2007, voire 2003. Le discours de Nicolas Sarkozy à Grenoble n’a pas vraiment augmenté le nombre d’expulsions. En revanche, il a désigné les Roms comme fauteurs de troubles, malgré l’avis de la Halde qui condamnait les discriminations dont ils sont victimes. Le discours de Grenoble a institutionnalisées celles-ci.

A-t-il influencé l’opinion ?

Ce discours a encouragé les comportements xénophobes, mais déclenché aussi des réactions citoyennes et la création de comités de soutien. Et des collectivités territoriales ont voulu se démarquer de la ­politique présidentielle. Ç’a été le cas à Bordeaux et à Lille, où des villages d’insertion sont venus remplacer les expulsions de terrains. On peut critiquer : Romeurope ne réclame pas une politique spécifique, mais de faire entrer les Roms dans le droit commun pour leur permettre d’accéder à un logement, à un travail, à l’école, au système de soins. Les villages d’insertion restent de l’habitat précaire réservé à une partie des Roms. Et ils sont soumis à des règlements, comme l’interdiction de recevoir. Ils sont une solution de contrôle plus qu’une réponse sociale, mais ils témoignent d’une volonté d’agir.

Où en sont les expulsions ?

Depuis 2003 et l’instauration de la politique du chiffre en matière d’expulsions, les Roumains, en majorité des Roms, représentent plus du tiers des reconduites à la frontière. En 2007, la Roumanie et la Bulgarie entrent dans l’Union. La France maintient des mesures transitoires et restreint la liberté d’installation, mais les ressortissants de ces pays sont libres de circuler. Une circulaire du 7 décembre 2006 crée un dispositif de rapatriement humanitaire. Encore aujourd’hui, c’est un dispositif « spécial Roms », par lequel des populations en dénuement sont « aidées à rentrer » moyennant 300 euros par adulte et 100 par enfant. Il faut savoir que l’aide au retour est normalement une aide à la réinstallation (2 000 euros pour les extracommunautaires). Concernant les Roms, c’est un accompagnement à l’expulsion.

Que deviennent les expulsés ?

On manque de chiffres mais il semble qu’ils restent quelques semaines en Roumanie, pour rassembler un peu d’argent, et reviennent en France. Pas pour « profiter des prestations sociales » car ils n’y ont pas droit. Très peu sont logés par le 115 ou bénéficient de l’aide médicale d’État.

Comment vivent-ils en France ?

Les Roms migrants en Europe sont sédentaires. En France, la plupart vivent dans des squats, des bidonvilles… Les expulsions successives ont fait éclater les grands camps. Dans les 48 premières heures d’occupation d’un terrain, les autorités peuvent expulser sans procédure. D’où des expulsions à la file…

Pourquoi n’ont-ils pas le droit de travailler ?

Dans le traité d’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Europe, des dispositions spécifiques permettent aux États membres de protéger leur marché du travail. Ces mesures interdisent aux Roumains et aux Bulgares de travailler en France. Elles ont été prises en 2007 pour une durée qui risque d’être prolongée jusqu’à fin 2013. Des études montrent que l’activité des Roumains et des Bulgares serait sans effets sur le marché du travail (Rapport de Romeurope sur la situation des Roms migrants en Europe 2009-2010. http://www.romeurope.org). En revanche, les exclure de l’emploi les maintient dans la précarité. Certains travaillent au noir, d’autres sont contraints de mendier. Il existe des réseaux de mendicité mais c’est très marginal. Il y a surtout des formes d’organisations familiales au sens large, où il est difficile de distinguer l’exploitation de la débrouille.

La scolarisation ?

C’est une grande difficulté en raison des expulsions répétées, des problèmes de domiciliation, des hésitations des familles. La scolarisation fait majoritairement partie de leur projet, mais la contribution des enfants à l’économie familiale peut être un obstacle. Et les communes ne sont pas très volontaires, se disant que les familles vont rester… Pourtant, la loi oblige à scolariser jusqu’à 16 ans.

Quelle est la situation des mineurs suivis par Hors la rue ?

Certains sont seuls en France, d’autres ont leur famille mais sont en errance toute la journée. Beaucoup se mettent en danger en exerçant des activités de survie, comme la prostitution. Difficile de leur trouver une alternative : pour suivre des formations avec stages en entreprise, il faut pouvoir travailler ! On constate aussi une augmentation du nombre de mineurs en situation de traite, pris dans des réseaux mafieux.

L’accès au travail lèverait-il un certain nombre de difficultés ?

Qui dit travail dit accès au logement, insertion sociale… Les Roms peuvent en théorie solliciter une autorisation de travail sur la fameuse liste des 150 métiers en tension. Mais les employeurs doivent s’acquitter d’une taxe entre 900 et 1 000 euros par salarié. Aucun n’a donc intérêt à embaucher un Rom. Les Roms sont entre 10 000 et 15 000 en France, maintenus dans la précarité alors que la solution est simple : lever les mesures transitoires, plus quelques mesures d’accompagnement social.

Et l’argument de « l’appel d’air »  ?

Il revient à dire que si on s’occupe d’un problème, il va s’aggraver. C’est le contraire…