Ingrid, 28 ans, en hopital psychiatrique : pourquoi ?

De Politis 62
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Mais qu'est-ce que c'est que cette société qui enferme ses jeunes, au prétexte qu'ils seraient irresponsables, déséquilibrés ?

Février 2013

Ingrid a 28 ans. Elle vit dans la maison familiale, dans le bassin minier. Petite fille de mineur, elle est titulaire d'un master, et vient d'être déclarée admissible aux épreuves du concours de professeur des écoles. Le 7 février dernier, au Louvre-Lens, elle appose un tag, au feutre, au bas du tableau de Delacroix La liberté guidant le peuple. Le tableau est recouvert d'une épaisse couche de vernis, le nettoyage de l'inscription n'a posé aucun problème, le tableau est parfaitement intact, et est de nouveau présenté au public.

Les faiseurs d'opinion

Le geste d'Ingrid a aussitôt entraîné de nombreuses réactions :

  • Guy Delcourt, député-maire de Lens a déclaré : c'est une personne considérée comme déséquilibrée, ayant des problèmes de maturité...
  • Toute la presse, à l'unisson, a entonné la même antienne : c'est l'acte d'une folle

Bigre ! On ne fait pas dans la demi-mesure...

Les professionnels de la justice

Le procureur de Béthune Philippe Peyroux a quant à lui affirmé : Elle a des moments de lucidité et par moments, elle a des bouffées délirantes... Elle est très fatiguée, pas du tout bien dans son assiette et dans son raisonnement... il s’agit «plutôt [d’]une personne déséquilibrée».

Au final, l'expert psychiatre qui a examiné Ingrid conclut à son irresponsabilité pénale et demande son hospitalisation d'office en hôpital psychiatrique. Et le procureur de Béthune finit par déclarer : On s'oriente vers une hospitalisation d'office en établissement psychiatrique, compte tenu des conclusions de l'expert psychiatre mandaté par le parquet qui a conclu à l'irresponsabilité pénale de cette dame.

Et c'est ainsi qu'Ingrid se retrouve à l'hopital psychiatrique de Saint-Venant. Elle y est toujours enfermée. Pour combien de temps encore ?

Des voix discordantes

Quelques personnes s'en émeuvent. On peut notamment évoquer la tribune publiée par Bruno Mattéi dans Le Monde. Il y aborde notamment les échanges entre Ingrid et le procureur de la République :

  • Elle revendique son geste. Son discours est cohérent, même si son cheminement intellectuel est parfois curieux dit l'homme de la justice.
  • J'explique mon geste par la volonté de lutter contre la manipulation de l'opinion et par souci d'élever le niveau de conscience du peuple consigne le procès-verbal de l'interrogatoire d'Ingrid.

Cela doit-il suffire à faire interner une jeune fille de 28 ans ? Ingrid revendique son geste; elle développe un discours cohérent; elle souhaite lutter contre la manipulation de l'opinion... Et si on faisait l'effort d'écouter, de comprendre, et de prendre en compte ses propos ? Car il y aurait sûrement beaucoup à apprendre, de la part de celles et ceux qui estiment que l'opinion est manipulée.


Mars 2013

  • Ingrid s'est vue refuser une première demande de remise en liberté, le 20 février
  • Le 7 mars, une nouvelle demande est également rejetée, par la cour d'appel de Douai : le tribunal estime qu'elle est dangereuse !!!

La cour d'appel ayant refusé, Ingrid peut maintenant rester en hopital psychiatrique durant plusieurs mois ... Elle ne peut recevoir aucune visite. Y compris sa mère, personne ne peut la voir. Elle est séquestrée...


Le contexte : le Louvre Lens, rouleau compresseur

Resituons le contexte :

  • Depuis 3 ans, tout le bassin minier est à l'heure du Louvre Lens : média, élus, hommes politiques de droite comme de gauche, patrons, investisseurs... Le Louvre Lens est un rouleau compresseur qui sature notre environnement dans le bassin minier. Aucune voix discordante ne peut se faire entendre, et, au final, n'ose se faire entendre.
  • Depuis le 4 décembre, tout le monde se gargarise de l'inauguration; chaque semaine le compteur du nombre de visiteurs est communiqué par voix de presse.
  • Pourtant, tout doucement, mais sûrement, dans la population, des voix discordantes se font entendre :
    • Et si le Louvre Lens c'était avant tout une histoire de gros sous ?
    • Et si, comme à Paris ou à Metz, l'arrivée d'un musée c'était aussi l'appropriation des villes concernées par la petite bourgeoisie intellectuelle ?
    • Et si le dynamisme économique qui nous est promis s'appuyait en fait sur des emplois généralement précaires, aux conditions de travail intenables, aux horaires élastiques et aux salaires réduits ?

C'est notamment le sens de l'initiative organisée par Politis 62 et La Brique, au lendemain de l'inauguration du musée. Ce soir là, la salle était pleine, pour un débat autour du très beau film Bassin miné : chantier interdit au public, qui donnait la parole aux habitants des nombreuses cités minières actuellement en cours de démolition.

Revenons alors à Ingrid.

Et si, sans vouloir nous exprimer à sa place, nous essayions de nous interroger sur le sens de ce qu'elle cherche à nous dire ? Quel qu'il soit, on ne peut s'empêcher de penser que, en pleine folie médiatique autour du Louvre Lens, il ne fait pas bon exprimer une petite musique discordante. Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage... Quand on veut tuer dans l'oeuf toute sensibilité minoritaire, on s'arrange pour l'enfermer. Jadis, les lettres de cachet permettaient l'incarcération sans jugement. Au 21ème siècle, on a l'enfermement psychiatrique.

Ingrid - 28 ans - Hopital psychiatrique de Saint-Venant

Pourquoi ? Pour combien de temps ?

27 mars 2013 : point presse

Les premiers compte-rendus :


Avril 2013


Ingrid est sortie, enfin !

Le préfet du Pas-de-Calais a levé l'internement d'Ingrid en psychiatrie. Après une nouvelle lecture de son dossier (le même qui lui a valu ces longues semaines en hôpital psychiatrique, ainsi que deux refus de sortie), le prefet a ainsi estimé que son internement pouvait cesser. Elle est donc rentrée chez elle. Il lui est demandé de poursuivre un traitement médicamenteux.

Un juge va maintenant pouvoir l'entendre, et déterminer dans quelle mesure elle est responsable ou non de son geste. Dans l'affirmative, elle sera renvoyée en correctionnelle.

Le comité de soutien pour la libération d'Ingrid se réjouit évidemment de cette décision. Sans doute que l'annonce de notre mobilisation a compté dans la décision du préfet. Il importe maintenant que l'on puisse entendre Ingrid et, dans tous les cas, nous resterons vigilants sur la suite de ces évènements.