Inscrire l'ESS dans la sortie du capitalisme

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Lors de l'assemblée générale de l'APES (Assemblée permanente de l'économie solidaire) le samedi 11 avril 2009, je suis intervenu sur la nécessaire inscription de l'ESS (Économie Sociale et Solidaire) dans la sortie du capitalisme.

L'article ci-dessous resitue le contexte de cette intervention, et développe cette question de l'ESS dans la sortie du capitalisme.

L'économie solidaire : un remède face à la crise ?

C'est l'intitulé du débat de l'assemblée générale de l'APES. La semaine précédente, l'APES nous a fait parvenir sa Lettre mensuelle, comportant une double page sur ce même thème. J'ai un avis différent sur le sujet concernant l'approche de la crise, et les réponses de l'ESS, telles que la Lettre mensuelle en rend compte :

  • D'une manière générale, la crise est décrite comme une parenthèse qui vient de s'ouvrir, et qui se refermera bien un jour. Dans ce contexte, l'ESS peut être un remède, qui permet de limiter la casse, en attendant des jours meilleurs, en attendant que les choses reprennent comme avant, en attendant que la parenthèse se referme. Ce remède consiste par exemple à s'adapter (exemple d'une entreprise qui a dû faire face à une délocalisation et qui s'est reconvertie), à développer de nouvelles solidarités entre structures de l'ESS, par exemple en mutualisant des activités au sein d'un groupement de type union d'économie sociale de façon à réaliser des économies d'échelle et à être plus fort lors de négociations avec les fournisseurs, ou encore à lancer des stratégies commerciales communes.
  • L'ensemble des exemples qui sont donnés dans La lettre mensuelle abordent des problématiques fort intéressantes (relocalisation de l'économie, coopération, épargne solidaire), mais l'approche qui est faite de ces problématiques ne remet jamais en cause le système dans lequel elles se déploient.
  • L'aspect systémique de la crise n'est jamais évoqué. Le capitalisme est cité une seule fois, dans le cadre d'une interview de Christiane Bouchart

Dans le même esprit, la convocation au débat introductif de l'assemblée générale évoque les déséquilibres qui se manifestent dans une société dominée par le marché, et l'opportunité qu'offre la crise pour faire entendre les initiatives de l’économie sociale et solidaire, mais la crise, en tant que crise du système capitaliste, et le dépassement du capitalisme ne sont pas abordés.

Le débat lors de l'AG de l'APES

Dans le même temps, pour introduire le débat de l'assemblée générale, l'APES fait venir Laurent Fraisse, chercheur au CRIDA. Il vient de publier un Texte d'orientation pour un livre blanc en cours d'élaboration, dans le cadre d'une initiative pilotée par Claude Alphandéry. En voici quelques extraits :

La crise actuelle du capitalisme est une fenêtre de tir historique pour affirmer, faire connaître et reconnaître l'ESS.

Nous voulons aussi formuler des propositions (...) dans des perspectives plus larges, celles d'un changement de cap de l'économie et 
d'un autre projet de société.

Centralité de l'homme - citoyen politique et économique actif - plutôt que celle de l'État ou du capital.

L'ampleur et le caractère systémique de la crise font que (...) les tentatives de relance actuelle ne parviendront pas à enrayer son
extension et son approfondissement (...) sans s'attaquer frontalement aux déséquilibres profonds du système économique actuel.

L'ESS incarne une réponse, partielle mais réelle, perfectible mais concrète, à ces enjeux fondamentaux, qui appellent un nouveau modèle
de développement. Il faut pour cette raison, la soutenir, la développer, la faire changer d'échelle.

L'ESS n'est pas la solution miracle et parfaite aux problèmes du système économique. (...) L'ESS doit aussi dépasser un simple discours
de la reconnaissance (au demeurant nécessaire) pour porter une vision globale de transformation de l'économie. (...) Cette stratégie 
s'oppose à un comportement qui consisterait à s'adapter à l'organisation de l'économie capitaliste.

La préservation des équilibres écologiques appelle à des changements profonds dans les modes de vie que les relances par l'investissement
et la consommation devraient davantage intégrer.

Sortir de cette démesure implique de réhabiliter la notion de limite et de développer une "sobriété créative" dans l'entreprise et la 
société. (...) La première des limites à intégrer est celle que nous devons imposer à nos esprits : l'économie a pris une place 
démesurée dans nos vies, au détriment des autres dimensions humaines (sociale, familiale, culturelle, artistique, sportive, 
spirituelle...). Le défi est de donner à l'économie toute sa place, mais rien que sa place.


Durant son introduction au débat, Laurent Fraisse a notamment abordé les points suivants :

  • L'ESS doit changer d'échelle : elle est actuellement inaudible. Elle manque d'une réponse politique (absence de parole politique de la part des acteurs de l'ESS).
  • La crise est systémique. Le système ne fonctionne plus, il y a ébranlement des représentations.
  • Trois scénarios possibles peuvent être promus par l'ESS (y compris simultanément) :
  1. Scénario de type keynesien.
  2. Mise en avant de nouvelles régulations, réforme du capitalisme, régulation du capitalisme selon un schéma de type green new deal.
  3. Se situer dans une perspective post capitalisme.
  • Le rôle de résistance de l'ESS est important, mais il convient de viser au delà de la simple résistance.
  • Réfléchir au modèle de développement - mener la réflexion sur le système.
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Inscrire l'ESS dans la sortie du capitalisme

C'est le sens de mon intervention lors de l'assemblée générale de l'APES.

Précisons avant tout de quelles structures de l'ESS il s'agit :

  • ce ne sont pas les structures pour lesquelles l'économie solidaire est une économie de la réparation, ou un tremplin vers l'économie de marché (par exemple les associations ou entreprises de réinsertion). Définir l'ESS par ces structures revient effectivement à imaginer une société dans laquelle le marchand et le non marchand trouvent chacun leur place et leur équilibre, au sein d'une économie plurielle. Pour ces structures, le rôle de l'état est déterminant.
  • ce sont les structures héritières des mouvements autogestionnaires des années soixante, structurées de manière non pyramidales, qui interviennent dans les sphères non marchande et marchande (mais dans ce cas avec des préoccupations non lucratives), et qui revendiquent un rôle de résistance politique. Leur activité économique marchande se développe au sein du marché, dans une démarche indépendante de l'état.


Inscrire l'ESS dans la sortie du capitalisme, c'est tout d'abord redire que la crise actuelle est une crise systémique : le capitalisme ne fonctionne plus, au regard de ses propres critères. Le capitalisme est dans l'incapacité de dégager toujours plus de plus-value, au travers des process de production. L'accroissement du taux de profit n'est plus possible. La valeur marchande des biens et des services décroît. Une des raisons en est la part croissante des contenus immatériels dans la nature des marchandises.


Enfin, inscrire l'ESS dans la sortie du capitalisme, c'est clairement expliciter les leviers sur lesquels les structures de l'ESS (tout au moins celles qui revendiquent un rôle de résistance politique), appuient leur action :

  • Rupture avec le modèle productiviste, et notamment avec le productivisme de gauche. C'est bien ce modèle qui est au coeur de l'idéologie capitaliste, nous enfermant dans l'obligation d'être des forçats du travail... et de la consommation.
  • Donner à l'économie toute sa place, mais rien que sa place : nous rejoignons complètement ces propos de Laurent Fraisse. L'important, c'est de satisfaire nos besoins (nos besoins réels, et non nos besoins fabriqués, en particulier par la publicité). L'ESS a une "bonne carte à jouer" dans cette perspective, au travers de la promotion d'une économie relocalisée, désindustrialisée, réencastrée dans le social, soucieuse de l'écologie. L'ESS peut pleinement se retrouver "porte drapeau" contre l'économie de marché (c'est à dire le capitalisme), mais pour une “économie des marchés” fondée sur des petites entités économiques.
  • S'inscrire contre le "tout marché", mais également contre le "tout état" : faire en sorte que les citoyens ne se sentent pas des sujets de l'Etat, de sa « majesté l'Etat ». Les acteurs de l'ESS, les citoyens, sont les acteurs de premier plan d'une nouvelle société, d'ores et déjà en germe au sein des structures de l'économie solidaire.
  • Expliciter formellement, consciemment, en quoi les pratiques que mettent en place les structures de l'économie solidaire préfigurent un changement radical de société.

Au-delà du capitalisme... et au-delà de l'ESS : l'exemple des logiciels libres

André Gorz

Il se trouve que, par l'intermédiaire de Politis 62, j'ai participé au cycle de débats populaires consacré à André Gorz, et à son dernier ouvrage Écologica : La sortie du capitalisme a déjà commencé.

En particulier, le dernier échange de ce cycle portait sur Société de la connaissance - Logiciels libres - Sortie du capitalisme. André Gorz voit dans le mouvement des logiciels libres des producteurs autonomes, motivés par le seul désir de communiquer, d'agir ensemble, et de socialiser exclusivement par le biais de relations de sympathie. Ce qui caractérise ces espaces d'autonomie libres, c'est qu'ils constituent des réseaux non hiérarchiques, horizontaux et décentralisés constitués selon le principe de la démocratie consensuelle.

Le mouvement des logiciels libres a d'ores et déjà transformé la sphère économique, et en très peu de temps. Ce qui fait dire à André Gorz : La négation du système s'étend de l'intérieur même, par le biais de pratiques alternatives qu'il engendre lui même, et dont les plus radicales et les plus dangereuses seront celles auxquelles il ne peut renoncer.

ESS et logiciels libres

Par ailleurs, en juillet 2009, se tiennent les 10èmes rencontres mondiales du logiciel libre (RMLL). Pour la première fois, un des thèmes sera consacré à l'ESS et les logiciels libres. J'en suis le coordinateur national, et, parmi les différents intervenants, (Alain Lipietz, Adrien Saumier, Philippe Pary, Vincent Calame, Philippe Cazeneuve, Michel Briand, Cédric Lefebvre, Thierry Noisette, Emmanuel Antoine), on trouve Stefan Merten, qu'André Gorz cite à plusieurs reprises, concernant la place que prend le logiciel libre dans une perspective de dépassement du capitalisme.

Stefan Merten estime en particulier que l'Économie sociale et solidaire est un enfant du capitalisme (a child of capitalism), alors que le type de production mis en oeuvre dans les logiciels libres est très différent du type de production capitaliste. Ce nouveau type de production est appelé Peer production (P2P : Production entre pairs). Son intervention aux RMLL 2009 porte sur les rapports entre ESS et P2P, et sur l'analyse des possibilités du P2P de s'inscrire dans une nouvelle société, au delà du capitalisme.